28 décembre 2011

Ils dansent avec les loups

Il y a trop de loups dans les romans québécois. J’en conviens, compte tenu de sa géographie, il est tout à fait normal que le roman québécois fasse souvent un détour par les bois. Mais trop souvent le romancier tombera-t-il dans cette espèce de romantisme animalier qui lui fera mettre en scène un de ces animaux rares de la forêt. Et un loup par-ci et un lynx par-là. C’est un peu comme les revenants dans Shakespeare : ces apparitions trop fréquentes finissent par nous faire nous demander : coudonc, est-ce qu’il n’y a que moi qui n’en rencontre jamais?

Je me targue d’avoir un peu fréquenté la forêt québécoise. Enfin, je ne suis ni bûcheron ni coureur-des-bois et ne suis qu’un gars de la grande ville, mais au fil des ans (et je ne suis plus tout à fait jeune), au gré de vacances en camping, de randonnées, de sorties de pêche, etc., j’ai eu bien des occasions d’observer la faune de quelques régions du Québec, surtout Lanaudière, les Laurentides, l’Outaouais, l’Abitibi, enfin, ces régions ayant un réel potentiel sauvage et qui sont situés à portée de voiture de Montréal. Ainsi, ai-je pu apercevoir dans ces forêts une belle collection d’animaux sauvages, mais des animaux tout de même assez courants, je parle par exemple du chevreuil, du castor, du porc-épic, du rat musqué, de la chauve-souris, de l’élan, du renard, de l’ours noir, et – au rayon des oiseaux – de divers canards, eiders et harles, du plongeon huart, du grand héron, de la gélinotte huppée, de quelques éperviers, faucons et buses, du martin-pêcheur, de pics et autres oiseaux de moindre envergure. Et puis aussi : grenouilles, crapauds et ouaouarons, couleuvres et salamandre. Mais jamais de ces bêtes rares et farouches dont il est si souvent question dans les romans québécois, tous ces carcajous, tous ces loups, tous ces lynx, tous ces coyotes, tous ces harfangs littéraires!

Tout au plus pourrais-je mentionner comme rencontre d’exception ce pygargue qui plana longuement au-dessus de la baie où nous lancions notre ligne, dans une chaloupe amarrée, en quelque part dans le parc de La Vérendrye. Ou ces quelques heures de cohabitation dans un lac de Lanaudière avec un élan, qui finalement prit le bois après avoir traversé le lac à la nage. Ou en Outaouais, cette buse à queue rousse qui se posa à quelques pas de moi pour attaquer une couleuvre. Des moments privilégiés et rares, qui donnent à la forêt tout son mystère. Parce que la forêt n’est pas un parc d’attraction.

Mais quelles régions visitent donc ces écrivains pour qu’ils y croisent loups et lynx comme s’il s’agissait de vulgaires huarts?

Ou alors, est-ce moi qui suis un bien piètre explorateur?

* * *

Ce texte, écrit cet été, m’a été inspiré par l’excellent roman La Constellation du Lynx de Louis Hamelin, que j’étais alors en train de lire.