─
Édouard Pilon, vous êtes chargé de collection aux Éditions Nobilis depuis maintenant
vingt ans.
─ Eh
oui, vingt ans, déjà!
─
Comment qualifieriez-vous votre ligne éditoriale?
─ Pour
nous, les qualités littéraires sont fondamentales. C’est pourquoi nous ne
faisons pas dans le roman de genre, historique ou romantique, par exemple. Nous
nous targuons de publier aujourd’hui les grands classiques de demain.
─ Tout
un programme! Cette approche doit certainement constituer un défi dans un monde
de l’édition toujours plus compétitif.
─ Nous
ne mesurons pas notre succès en termes de tirage. D’ailleurs, dieu merci, les
organismes subventionnaires sont là pour assurer que la littérature ne devienne
pas carrément un art mineur comme le cinéma ou la télévision.
─ Vous
avez quand même eu un beau succès avec le dernier roman de Gilles Brulotte, qui
a atteint le stade de best seller.
─ Oui,
en effet. Nous ne disons certes pas non à un succès populaire! Dans le cas de
Brulotte, c’est en partie grâce au travail que nous avons fait ensemble, sur le
long terme, que son succès d’estime a mûri en un succès de vente. Aujourd’hui,
ses romans sont attendus par les lecteurs. Et je dis : Bravo! Avec
Brulotte, je savais déjà être en présence d’un grand auteur lorsque j’ai retenu
son premier roman, il y a une quinzaine d’année.
─ Oui. À
ce propos, quel serait votre conseil au jeune auteur qui nous écoute et qui
désire publier son premier roman?
─ Eh
bien, je lui dirais : Laissez tomber. Tout simplement. Il y a déjà bien trop
de choses qui se publient, nous n’avons certainement pas besoin d’un
écrivailleur de plus.
─ Oh. La
recherche de nouveaux talents n’est donc pas pour vous un objectif, voire une
motivation?
─ Sachez-le,
chez Nobilis, nous faisons notre effort. Nous publions en général un nouvel
auteur par année. Pour cela, nous devons nous taper les centaines de manuscrits
qu’on nous envoie. Si vous saviez! Nous sommes tout simplement submergés!
─ Mais
ne sentez-vous pas, lorsque vous ouvrez un de ces manuscrits, l’excitation du
chercheur d’or qui espère trouver dans son tamis une pépite?
─ Ah,
là, là! C’est à peine si nous en lisons une page complète. Notre comité de
lecture est composé de personnes toutes très occupées, qui doivent évaluer une
dizaine de manuscrits à chaque semaine. Ils ne peuvent tout simplement pas les
lire. Alors, ils ouvrent au hasard, lisent un paragraphe et si ça ne les
accroche pas, on passe au suivant. Et disons que ça ne les accroche pas souvent.
─ Mais sans nouvel auteur, la littérature ne
risque-t-elle pas de se scléroser?
─ Allons,
allons, ne dramatisons pas! Déjà, je suis d’avis que le Québec compte trop de
maison d’édition qui publient trop de livres. Notre marché est trop petit pour tout
cela. On finit par pilonner la moitié de ce qu’on imprime. Si un livre n’a pas été
remarqué dans les quatre à six semaines de sa parution, il est condamné à
accumuler la poussière sur les tablettes. En plus, avec l’autoédition en format numérique
et dans l’Internet, c’est un véritable déluge de textes soi-disant littéraires
qui déferle sur les lecteurs. Quand on sait qu’à peu près trente pour cent des Québécois
sont analphabètes ou ont des difficultés à lire, il est évident que l’offre
dépasse largement la demande.
─ Voilà
un portrait des plus sombre du monde québécois de l’édition!
─ Je
suis vraiment désolé si je décourage quelque talent. Je suis de toute façon d’avis
que l’écrivain véritable n’attend ni les encouragements, ni l'avis d’un
éditeur pour se donner corps et âme à son art. L’auteur, le vrai, ne vit que
pour écrire, au-delà de la promesse d’être édité, voire même d'être lu.
─ À
quoi peut-on s’attendre des Éditions Nobilis pour les mois à venir?
─ Nous
préparons la rentrée littéraire. Dix nouveaux titres, dont un Guénette, un Douville
et un Poupart. Je suis particulièrement fier de notre alignement, cette année.
─ Eh
bien, nous vous souhaitons le plus grand des succès! Édouard Pilon, chargé de
collection aux Éditions Nobilis, merci pour cet entretien.
─ Je
vous en prie.
─ …Et voilà.
Ça s’est bien passé, finalement, non?
─
Ouais, O.K., je ne pense pas avoir trop dit de conneries!
─ Arrête
donc, c’était parfait. Tu as le temps pour un verre?
─ Non,
je dois aller chercher mon plus jeune à la garderie.
─ O.K. Hum.
Écoute, je voulais te parler de quelque chose, je suis un peu gêné de te
demander ça, mais j’ai ma blonde qui a fini son manuscrit, tu te rappelles, je
t’en avais parlé, au début de l’année? Bin, elle l’a terminé. Je l’ai lu pis
c’est pas mal bon. Elle sait pas trop à quel éditeur l’envoyer, pis j’ai pensé
à toi.
─ Un
roman?
─ Oui,
un truc inspiré de ses affectations en Asie. Ça se passe en Chine.
─ Bin,
c’est certain que le premier roman d’une journaliste connue…
─ Je te
le dis, c’est vraiment bon. Elle a du talent. Je trouve qu’elle a réussi à développer
un style personnel, assez poétique, même. C’est l’histoire d’une journaliste québécoise
en poste en Chine et qui doit couvrir un tremblement de terre. C’est assez
émouvant.
─ Bon,
OK, tu peux m’envoyer son manuscrit. Je vais le lire moi-même. C’est le genre
de livre qui serait parfait pour la rentrée du printemps, un nom connu, un peu
d’exotisme, de l’émotion. Qui sait, on pourrait peut-être en faire un hit. Genre : des grosses piles chez
Renaud-Bray pis au Costco! Ha! Ha!
─ Ha!
Ha! Wow! Parfait, je lui donne ton courriel, elle va t’envoyer ça demain, sans
faute.
─ O.K.
─ Bon,
bin, merci encore pour l’entrevue.
─ Pas
de problème.
─ À
bientôt.
─
Salut.