— Arnaud Proutz, vous êtes
connu pour vos romans sulfureux, vos nombreuses frasques et vos déclarations
controversées. Vos premiers romans ont abordé tour à tour les thèmes de la pornographie,
du meurtre de sang froid et de l’inceste. Cela a fait de vous en quelque sorte
le mauvais garçon du monde littéraire français. Or, votre dernier roman, un des
incontournables de la rentrée littéraire, raconte l’histoire d’un homme d’âge
mûr qui se rapproche de son père et apprend enfin à le connaître alors que
celui-ci vit ses derniers instants. Une histoire qui tient davantage du
mélodrame, à mille lieues de vos précédents ouvrages.
— Je n’ai jamais eu de plan.
J’écris ce qui me semble fondamental à un certain moment de ma vie, j’écris
comme je suis, comme je vis. J’écris pour moi-même. Et ce roman est pour moi le
plus subversif d’entre tous. [« Ce
changement radical de style est une posture. C’est comme lorsque les chanteuses
pop changent de chevelure et de look. »]
— Il a beaucoup été question
de la nature autobiographique de ce roman. S’agit-il d’autofiction?
— Je déteste ce qualificatif
d’autofiction. Bien sûr, ce roman, comme tous les autres que j’ai écrits, tire
sa source de ma vie. Tout part de moi. J’ai voulu rendre compte de la perte du
père, mais aussi de la déchéance qui accompagne la mort, de l’inéluctabilité de
la mort, sa nature définitive. Non, il s’agit avant tout d’une œuvre de fiction,
à la fois rigoureusement authentique et complètement fictionnelle. [« De l’autofiction? Mais bien entendu!
Je ne sais rien faire d’autre qu’écrire sur moi-même. Je n’ai aucune
imagination. De toute manière, l’univers tourne autour de ma personne. Et
j’adore me regarder écrire. Ah, comme j’écris bien, n’est-ce pas? »]
— Mais vous dites pourtant
avoir écrit ce roman en réaction au décès de votre père des suites d’une longue
maladie. Et malgré qu’il s’agisse d’un roman, on ne peut que souligner le fait que
les personnages portent les noms réels de vos proches, que l’action se déroule
dans votre région natale, qu’il est question en arrière-plan d’événements de
l’actualité récente, etc. On est donc en droit de se demander si les
révélations concernant le fait que le personnage principal, votre alter ego,
soit un enfant illégitime ont un fond de vérité. Ce roman est-il un règlement
de compte avec votre passé?
— Mes romans sont ma vie, ma
vie est un roman. Pourtant, je n’ai jamais eu envie de raconter ma vie. [« Mes parents, ces hypocrites! Ils
m’ont volé mon enfance, je peux bien les vampiriser, maintenant qu’ils sont
morts! »]
— Il s’agit de votre premier
roman depuis que vous avez changé d’éditeur. Votre passage chez Grassouillet a
fait couler beaucoup d’encre. On dit dans certains milieux que ce changement
était un geste calculé visant à favoriser votre candidature pour le Goncourt.
Qu’en est-il?
— Les prix littéraires sont un
procédé visant à embaumer les écrivains finis. Je suis Arnaud Proutz, je suis
traduit dans vingt-trois langues. Ai-je besoin du Goncourt? Je n’ai rien à
foutre du Goncourt! [« Ha! Ha! Ha!
N’est-ce pas machiavélique? En effet, mes chances pour le Goncourt sont maintenant
bien meilleures chez Grassouillet! Oh oui, je veux le Goncourt et je l’aurai! »]
— Mais, enfin, la presse spécialisée
est presque unanime à vous désigner comme le grand favori.
— Bof, la presse spécialisée,
qu’est-ce qu’elle en sait… [« Favori.
J’adore entendre cela. Vous pouvez répéter la question? »]
— Dans un tout autre ordre
d’idée, votre récent plaidoyer en faveur du rétablissement de la peine de mort
en France en a fait sourciller plus d’un. On vous a notamment attaqué dans les
médias. Vous n’avez pas peur que vos prises de position finissent par vous
aliéner une partie de votre lectorat?
— Je suis un intellectuel. Je
me questionne. Je pense tout haut. Et je m’exprime. Bon. Et puis, il faut
mettre ces propos dans leurs contextes. Si je me rappelle bien, on me
questionnait sur cette histoire de meurtrier en série Belge. Dans la foulée, j’ai
dit que ce genre d’assassin irrécupérable appelait au rétablissement de la
peine capitale. Je le crois toujours. Mes lecteurs n’ont pas à être d’accord
avec cela pour me lire. Et ils savent très faire la part des choses. Je ne suis
quand même pas un néo-Céline néo-nazi ou quelque chose du genre. Peut-être
suis-je l’enfant terrible de la littérature, mais je demeure fréquentable, tout
de même! [« Ah, là, là, je sais
bien! Ce qu’il faut pas dire comme conneries pour faire la une des magazines
littéraires! Est-ce que vous croyez que ça m’amuse de devoir inventer des
controverses pour nourrir mon narcissisme? Quant à mes lecteurs, je suis d’avis
que tant que je resterai dans l’œil des médias, tant que je publierai un
nouveau roman à tous les deux ans à la rentrée, tant que j’alimenterai mon
mythe, ils seront toujours nombreux à acheter mes romans. Pour le plus grand
plaisir de mon banquier et de ma maîtresse. Il n’est pas question de
littérature, au fond, mais bien de marketing. »]
— Ha! Ha! Oui, tout à fait,
nous pouvons en témoigner aujourd’hui. Arnaud Proutz, merci pour cet entretien.
— Tout le plaisir est pour
moi. [« C’est cela, tout le plaisir
est pour vous. »]