29 mai 2011

Apocalypse

Alors le vent s’élèvera, des nuages se formeront et rempliront le ciel, et le soleil ne réchauffera plus la surface de la terre. Alors viendra l’averse qui ne s’arrêtera plus, votre jardin deviendra un champ de boue et les mauvaises herbes se moqueront de vous en croissant à une vitesse folle. Vous épierez le chaos de votre jardinet de la fenêtre de votre maison, tandis que la pluie s’acharnera et que la pénombre aura sur votre esprit l’effet du désespoir.

Et dans la ruelle, des oiseaux chanteront.

Sur la terrasse, ces sacs de terreau et ces annuelles que vous aurez acheté par un dimanche de pluie, quelques semaines auparavant, alors que vous espériez encore un printemps, oui, ce terreau et ces fleurs se joindront aux mauvaises herbes de vos plates-bandes désolées pour vous narguer, pauvre petit être ayant peur de l’eau et mettant timidement son nez à la fenêtre. Alors, vous vous résignerez à entreprendre ces travaux de jardinage que vous repoussez de week-end en week-end pour cause de mauvais temps, car la météo ne laissera place à aucun espoir d’amélioration. Une bourrasque viendra fouetter la pluie contre la fenêtre. Alors, vous mettrez votre imperméable et vos bottes et sortirez dans le jardin. Vous lèverez les yeux vers le ciel et n’y verrez que grisaille et des gouttes de pluie glacées piqueront votre visage. Alors, la tête dans les épaules, vous vous dirigerez à grands pas vers le cabanon, en ouvrirez la porte et dans la pénombre qui y règnera, vous attraperez des outils: une griffe, un transplantoir, un sécateur et un couteau à lame rétractable. Vous mettrez aussi les gants de jardinage dans votre poche arrière.

Et tout près, vous entendrez un écureuil en colère qui répètera ce cri aigu qui ressemble au ricanement du malin.

Alors, vous sortirez de la cabane et vous vous dirigerez vers les sacs de terreau. Vous poserez par terre vos outils, sauf le couteau que vous glisserez dans votre autre poche arrière, et vous empoignerez un gros sac de terre pour le soulever. Alors, quelque chose se coincera légèrement au niveau de vos vertèbres lombaires et vous sentirez un pincement dans le bas de votre dos et vous saurez que vous en aurez pour une bonne semaine à souffrir et qu’il aurait mieux valu que vous vous penchiez en pliant les genoux comme il se doit. Et vous reconnaîtrez que vous avez péché et que vous souffrances seront terribles. Mais pour l’heure, la douleur sera tolérable et vous transporterez tant bien que mal le lourd sac jusqu’à une plate-bande, où vous le laisserez choir. Puis, vous prendrez le couteau dans votre poche arrière et en ferez sortir la lame.

Et au loin, se fera entendre le grondement du tonnerre.

D’un geste ample et rapide, vous ferez glisser la lame du couteau sur la largeur du sac de terreau. La pellicule de plastique cèdera facilement. Mais sans vous en rendre compte, ce geste amènera aussi la lame contre le pouce de votre main gauche posée contre le sac pour maintenir votre équilibre. Et le couteau tailladera votre pouce jusqu’à l’os et du sang giclera. Alors la surprise vous fera échapper le couteau. Alors votre sang coulera avec intensité et se mêlera à l’eau de pluie et au terreau humide. Et vous invoquerez en vain le nom du Seigneur. Alors, vous ressentirez dans votre pouce une douleur aigüe, telle la morsure d’une vipère. Et vous vous précipiterez vers la porte de la maison, y entrerez en panique et traverserez votre appartement au pas de course, vous dirigeant vers la porte avant, aveugle aux traces boueuses que laisseront vos bottes sur le plancher. Dans la rue, vous courrez jusqu’à votre voiture garée tout près. Et tandis que vous ferez démarrer le moteur de votre voiture, vous jetterez un œil au pouce de votre main gauche et ce que vous y verrez fera augmenter dangereusement le taux d’adrénaline dans votre sang. Puis, vous ferez marche arrière et accélérerez avec un peu trop de puissance et vous frapperez avec force le pare-choc de la voiture garée derrière. Alors, vous blasphèmerez contre les saints du ciel. Vous embrayerez en première et écraserez l’accélérateur, car vous sentirez que votre blessure requiert des soins immédiats et vous vous direz que la vieille Toyota de votre voisin n’a sans doute subi aucun dommages qui ne puissent attendre. Les pneus avant de votre voiture tourneront un moment à vide sur la chaussée mouillée, avant d’enfin mordre l’asphalte.

Et votre auto, tel un char tiré par des chevaux fous, bondira vers l’avant.

Alors vous pousserez le moteur de la voiture, ralentissant à peine alors que vous vous engagerez dans une rue perpendiculaire, suivant ce qui vous semblera être le meilleur chemin pour vous rendre à l’hôpital le plus proche. Et comme vous tournerez le coin de rue à bonne vitesse, surgissant de nulle part, un cycliste roulant à contresens dans cette rue à sens unique apparaîtra devant vous. Alors votre cerveau drogué par le stress ne perdra pas de temps à établir une stratégie. Vous appliquerez les freins et braquerez les roues, ce qui fera déraper votre véhicule, maintenant totalement hors de contrôle. Alors l’énergie cinétique poussera la masse d’acier de votre petite sous-compacte en droite ligne vers une borne-fontaine, que vous aurez à peine le temps d’apercevoir avant que son nez ne vienne s’y emboutir, stoppant abruptement sa course. Alors votre corps, comme au ralenti, sera projeté vers l’avant par l’impact et vous constaterez que dans votre précipitation, vous n’aviez pas pensé attacher votre ceinture de sécurité. Et ce seront là les dernières pensées qui traverseront votre esprit tandis que votre abdomen s’écrasera contre le volant et que le sommet de votre crâne traversera le pare-brise et que votre corps sera expulsé du véhicule et traversera l’air pour aller heurter un mur de brique.

Et alors le ciel se fermera et le monde s’assombrira et résonneront les sept trompettes. Et ce sera la fin du monde.