7 février 2011

Le dernier mot

Cet ami avait le vilain défaut de toujours vouloir avoir raison. Pour lui, la vie était faite de certitudes et de vérités dont il possédait toutes les clés. Il parlait d’autorité sur n’importe quel sujet. Cette apparente conviction lui donnait prestance et crédibilité et tous lui prêtaient une grande culture. Si quelqu’un avait l’effronterie de mettre en doute ses dires, il défendait son point de vue avec un acharnement tel, que son adversaire lui donnait invariablement raison en s’excusant de son erreur. C’était exaspérant. Lorsque je connus cet ami, je lui donnai volontiers le bénéfice du doute en maintes occasions. Mais après m’être quelques fois aperçu a posteriori de diverses erreurs et errements de sa part, je finis par me méfier de tout ce qu’il disait. Comme c’était mon ami, je décidai un jour de le confronter sur ce trait de caractère. Je lui fis gentiment remarquer sa propension à toujours vouloir avoir raison et combien cela pouvait agacer son entourage, en commençant par moi. Il joua l’étonnement et ne voulut rien entendre. Il tenta même de me démontrer que c’était plutôt moi qui étais opiniâtre et qui ne cessais de m’obstiner avec tout le monde. Il m’appela même Monsieur-je-sais-tout. C’en était trop! Je contrai ses arguments avec véhémence. Ah, la tête de mule, cette fois, il n’était pas question que je lui donne raison. Je lui tiendrais tête et triompherais de cette joute verbale!

Aujourd’hui, je n’ai plus personne avec qui discuter. On me garde loin des autres détenus. Et les gardes ne m’adressent jamais la parole. Il m’arrive bien de rencontrer d’autres gens à l’occasion – un infirmier, mon avocat, des agents de libération conditionnelle – mais ces visites sont brèves et la communication, strictement professionnelle. Je passe mes journées seul, dans cet environnement carcéral sans tracas ni controverse. Quel ennui! Bien sûr, j’éprouve du remord. C’est d’ailleurs ce que j’ai expliqué au juge. Tout de même, il s’agissait d’un bon ami, malgré ce défaut qu’il avait d’être têtu. Car cette malheureuse histoire n’est que le résultat d’un stupide accident, une bousculade qui aura mal tourné. Même s’il l’avait peut-être un peu cherché, après tout.

En fin de compte, les circonstances m’auront donné raison, parce que cette fois-là, pas de doute, c’est bien moi qui aura eu le dernier mot.