Il y a cette longue scène des beignes. Un long plan-séquence sur deux personnages qui marchent dans les couloirs d’un hôtel en discutant des qualités relatives de différentes sortes de beignes: poudrés, glacés, avec un trou ou fourrés; presque vingt-cinq minutes à écouter ces deux types disserter sur le sujet. Leur habillement rappelle la mode des années 70. L’un porte la moustache, l’autre des favoris. Cette scène d’anthologie prend fin sur le mot « motherf*cker », proféré alors que les portes d’un ascenseur se referment sur les deux protagonistes.
Certes, certaines critiques se sont demandé si les nombreuses références à Krispy Kreme et Dunkin’ Donuts étaient le fruit d’une bête stratégie de placement de produit. Cependant, toutes ont célébré les qualités exceptionnelles de ce film, le jeu de ses acteurs, la bande sonore constituée de pièces d’obscurs groupes pop des années 60 et, surtout, ces dialogues savoureux. On a abondamment cité cette scène des beignes, cette autre où un personnage raconte à sa maîtresse dans quelles circonstances il a gagné un concours de mangeurs de hot-dogs lorsqu’il était au collège et, bien sûr, le fameux bain de sang final. Quant à la célèbre scène des beignes, les exégètes l’ont analysé dans le menu détail, y voyant une métaphore sur le déchirement entre la droite religieuse et la gauche bien-pensante au pays de l’Oncle Sam. D’autres auront cru remarquer que la digression d’un des personnages sur les colorants alimentaires avait tout d’une critique subtile d’une certaine xénophobie latente couvant dans la société américaine.
Bref, personne n’a été surpris lorsque le film gagna la Palme d’or à Cannes: il s’agissait à n’en pas douter d’une grande œuvre d’art.