6 juin 2010

Ketchup

        Ketchup revint vers la maison-château par le jardin. Il faisait nuit. Ketchup était un gros chien bâtard, ressemblant vaguement à un berger allemand, en plus gros. Il marchait d’un bon pas, s’étirant le cou vers l’avant, la langue sortie à travers ses crocs. Il était allé faire ses besoins chez le voisin, comme d’habitude. Il avait d’abord fait un petit tour dans le jardin de la maison de son maître, reniflant ici et là, puis avait traversé la haie de cèdre à l’endroit où elle était moins touffue, avait trotté jusque chez le deuxième voisin, qui habitait lui aussi une maison-château gigantesque. Faisant comme si de rien n’était, Ketchup avait reniflé un peu en divers endroits sur le grand terrain, pour finalement faire sa petite affaire sans gêne aucune, en plein milieu de l’espace gazonné qui séparait le vaste patio de bois et la piscine creusée semi-olympique. Enfin, il était revenu vers chez lui d’un bon pas. Mais maintenant qu’il était devant la grande porte vitrée à l’arrière de la maison de son maître, il constata que celle-ci était fermée. Son maître ne l’avait pas attendu. Ketchup jappa un peu. Cela n’eut aucun effet : pas un mouvement dans la maison, qui était pongée dans l’obscurité. Aucun indice de la présence de son maître. Était-il parti en le laissant tout seul dehors? Ketchup jappa encore. Mais rien. Il alla voir à la porte qui donnait sur le garage. Fermée aussi. Il retourna à la porte vitrée et jappa encore, plus fort. Rien. Ketchup n’était pas content, il était très contrarié qu’on le laissât comme ça dehors en pleine nuit. Généralement, quand il jappait, ça bougeait à l’intérieur, la lumière extérieure s’allumait, la porte s’ouvrait et il pouvait enfin entrer. Il recevait parfois au passage un coup de pied au cul, mais au moins il ne restait pas comme cette nuit à se les geler dehors. Faisant une nouvelle tentative pour provoquer cette séquence d’événements favorable, il jappa de nouveau. Il pleurnicha un peu aussi; parfois, cela avait un meilleur effet. Ces hurlements durèrent une bonne quinzaine de minutes, mais en vain : c’était bel et bien mort dans la maison. Alors, Ketchup s’assit sur le pas de la porte et attendit un peu, les oreilles dressées. Ça dura un long moment. Puis, il s’allongea par terre. Et il attendit comme ça, immobile, en réfléchissant au sens de sa vie de chien, et tout ça.