Les Québécois, pour une raison que j’ignore, semblent vouer un culte étrange à la lettre K, une lettre pourtant presque inutilisée dans la langue française. Bien que le K ait cet avantage de se prononcer d’une façon unique et non ambiguë devant toutes les voyelles, la langue française lui préfère les lettres C et QU pour le son [k]. Ainsi : CA, QUE, QUI, CO, CU. Rappelons qu’en français, le K est la deuxième lettre la moins utilisée en français, après le W.
Pourquoi cette fixation pour le K au Québec? À titre d’illustration, on voit souvent ainsi orthographié ce gros mot québécois : tabarnak (prononciation en joual de tabernacle). Pourquoi ce K final? Pourquoi pas tabarnac? Curieux, j’ai comparé le nombre de résultats dans Google pour différentes orthographes possibles de ce mot du terroir :
Tabarnak
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110 000
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Tabarnack
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80 400
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Tabarnaque
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33 300
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Tabarnac
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21 500
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Je suis assez déçu que l’orthographe qui me plaît le plus et qui est la plus simple, tabarnac, soit la moins utilisée. Tabarouette, il semble que la folie du K ait encore frappé! Pourtant, n’écrit-on pas : bac, lac, sac, tic-tac... Tiens, tiens, il semble que la plupart des mots se terminant en ac n’aient qu’une syllabe.
Le K fait branché. Dans le petit monde de la musique rock québécoise (et en particulier dans ce qu’on appelle à Montréal (oui, je sais, c’est réducteur et condescendant) la scène locale), quand on se cherche un nom, le K semble s’imposer. Ainsi, quelques exemples de groupes auxquels on a eu droit ces dernières années : Akuma, Kaïn, Karkwa, Karlof Orchestra, Kermess, Kulcha Connection, le Kitchose Band, Okoumé, etc. Pourquoi tant de K? Serait-ce relié à la lettre K dans les mots rock, punk, funk, ska? On peut voir l’ampleur des ravages du K maudit dans le répertoire des groupes et artistes dont les albums sont distribués par le défunt distributeur de disque indépendant Local Distribution, où plus de 15 % des noms comportent au moins un K, ce qui représente une fréquence hors du commun (en toute mauvaise foi, j’admets aussi dans ma statistique des noms anglophones, mais quand même).
Permettez-moi de m’essayer à quelques pistes d’explication (sans aucun fondement scientifique, faut-il ajouter).
D’abord, je remarque que la lettre K abonde dans certaines langues amérindiennes. Par exemple, les communautés mohawks : Akwesasne, Kahnawake et Kanesatake. Il semble qu’on ait déjà écrit, au début de notre histoire : Kebec.
Autre influence possible : une émulation de l’anglais, qui utilise plus volontiers cette lettre (il s’agit tout de même la cinquième lettre la moins fréquente en anglais). Le phénomène pourrait ainsi être en dû à l’exposition importante des Québécois à la langue anglaise.
Enfin, il est possible que le K fasse tout simplement cool. J’imagine par exemple un artiste nommé Éric Caron qui se donnerait comme pseudonyme Érik Karon : ce serait vraiment autre chose.
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[Mise à jour du 2017-10-30] Huit ans plus tard, on ne compte plus les Karine et les Katrine (pour ne pas parler des Korine et des Kristine) qui arborent le K dans leur nom, telle une belle erreur d’orthographe. Et, bien sûr, il y a aussi Klô Pelgag. Il semble que le K a encore de beaux jours devant lui.
[Mise à jour du 2018-05-05] Dans un registre mieux documenté, on pourra lire sur la mode du K cette chronique du lexicographe belge Michel Francard.
[Mise à jour du 2018-05-05] Dans un registre mieux documenté, on pourra lire sur la mode du K cette chronique du lexicographe belge Michel Francard.