1 septembre 2009

Un conseil d'ami

        Le petit coupé Mercedes roulait à vive allure sur l’Autoroute 117. Le conducteur était un type dans la cinquantaine avec un petit bedon sphérique et un bouc grisonnant au menton. À son cou pendait une chaîne en or et au poignet de sa main droite une montre au bracelet doré. En prime, il arborait une impressionnante chevalière à la main. Monsieur Jewel aimait bien afficher son opulence, objet d’une grande fierté. Il avait cette richesse ostentatoire des gens nés pour un petit pain, qui sont devenus prospères, mais qui ont gardé certains complexes. Monsieur Jewel était en grande conversation téléphonique. Il avait dans l’oreille une de ces petites oreillettes servant de casque d’écoute et de microphone et qui donne à ceux qui les utilisent l’air de cyborgs du dimanche. Il faisait la leçon à son vieux copain Steve.
        — Écoute, Steve, je comprends pas que tu travailles encore la fin de semaine prochaine. Il me semble que tu travailles tout le temps. Prends le temps de vivre, mon vieux!
        — Un de mes employés s’est cassé une jambe en faisant du skateboard. La semaine passée, j’ai mis à la porte une temporaire que j’ai pognée en train de piquer de l’argent dans la caisse. En plus, il y a une des filles qui est tombée en congé de maternité cet été… Je suis mal pris pis il faut que je rentre donner un coup de main.
        — Ha, ha, ha! Je t’imagine en train de servir des beignes! Combien de sucres dans votre café ? Ha, ha, ha!
        — Va chier! Il faut bin gagner sa vie. Pis je la gagne pas trop mal, merci. Ça fait juste un an que j’ai acheté ma franchise Tim Horton, pis mes chiffres sont bons. Le bureau chef de Toronto est content.
        — C’est sûr que si ta franchise décolle, ça peut finir par avoir une bonne valeur. Mais comme je te le dis souvent, il faudrait que tu vises plus gros. Que tu en viennes à hypothéquer celle-là, pour en acheter une autre, pis hypothéquer l’autre pour en acheter une autre encore, pis répéter l’opération pour réussir à avoir plusieurs franchises avec un investissement initial réduit. C’est de cette façon-là que tu peux grossir vite. Ça, c’est un plan d’affaires intéressant!
        — Comme je te réponds à chaque fois que tu me chantes cette chanson-là, je vais commencer par faire marcher cette franchise-là pis on verra après.
        — Ouin. En attendant, il faudrait que tu t’arranges pour que ça roule tout seul. Pour pas que tu sois obligé de travailler tout le temps… En tout cas, c’est de valeur pour en fin de semaine, je voulais t’inviter au chalet avec Carole. T’es toujours avec Carole ?
        — Bin sûr, qu’est-ce que tu penses, on vient de s’acheter une maison.
        — Ouin. Mais on sait jamais, de nos jours. Ça doit bin faire quinze ans que vous êtes ensemble ?
        — Quelque chose comme ça.
        — Wow… Moi, je pensais inviter la petite Cynthia. J’aurais aimé ça que tu vois ça cette petite pitoune-là en bikini!
        — Cynthia ? C’est une nouvelle, ça, mon gros cochon ?
        — Ha! Ha! Ha! Ouin, une petite poulette que j’ai rencontrée ça fait pas longtemps. Un pétard! Tu devrais voir le petit cul…
        — De toute façon, en fin de semaine, j’aurais pas pu, c’est la fête de mon plus vieux.
        — Anyway. Tant pis. Non, je te le dis Steve, c’est intéressant ton affaire de franchise de beignes, mais pour faire une piasse, ça m’a l’air compliqué. Tu devrais faire comme moi pis partir à ton compte, je sais pas, faire de la rénovation par exemple. Je veux dire, moi, dans la plomberie, depuis que je suis parti de chez Pouliot, j’ai jamais fait autant de cash. Pouliot, le Christ de vieux crosseur! Il me payait des pinottes! Asteure, je peux dire que suis riche… Pas pire pour un plombier!
        — Facile quand on travaille au noir!
        — Bon, sors pas tes grandes expressions! Je paye assez de taxes comme ça, je peux bin essayer de sauver un peu d’impôts. On fait tous pareil. C’est vrai que je demande à mes clients me payer comptant. Mais je leur donne un escompte de 15 pour cent s’ils me payent comptant. Je leur dis : vous sauvez les taxes… Bon, ce que je leur dis pas, c’est que moi, comme je déclare pas à l’impôt, je sauve à peu près 50 pour cent. Mais on est quand même gagnant des deux côtés, tu comprends ?
        L’autre soupira au bout du fil. Monsieur Jewel continua son exposé :
        — Écoute, je charge 75 piasses de l’heure. C’est un tarif normal pour un plombier. Aussi, je charge toujours une heure en extra pour mon déplacement. Pis je prends une bonne cote sur le matériel que je fournis. Je déclare un peu, mais c’est presque clair d’impôts. C’est payant! C’est payant! Comment tu penses que je me suis payé mon chalet dans les Laurentides pis ma Mercedes ? Ha! Ha! Ha!
        — Va chier.
        — Écoute, je dis pas ça pour t’écœurer! Prends ça comme un conseil d’ami!