14 juillet 2009

Underground

Paul travaillait dans la production cinématographique. Il se spécialisait dans les effets spéciaux. Il s’était fait un nom dans le milieu du cinéma de genre par son travail sur quelques projets plus ou moins obscurs au Québec, puis au Canada. Ça l’avait amené à travailler sur deux ou trois projets internationaux. C’est lui qui avait conçu la fameuse scène de la tête qui explose dans ce film d’horreur bulgare hyper-violent qui avait fait grand bruit au dernier festival Fantasia : une femme vampire à demi-nue, sa tête qui gonfle, puis explose dans une orgie de sang. Ce clip constituait ses vingt-sept secondes de gloire, trônant tout en haut du palmarès de ses réalisations, dans son curriculum vitae. Comme il n’est pas facile de vivre de son art au Québec quand on se spécialise dans les effets spéciaux, le gagne-pain principal de Paul était d’être employé à temps partiel dans une boutique de location de vidéos. Cet emploi avait l’avantage de lui donner accès aux catalogues de tous les distributeurs de films sur DVD, même les plus spécialisés, les plus lointains et les plus obscurs. Ceci faisait de Paul une véritable encyclopédie du cinéma gore. Il avait vu tous les films du genre, dont il connaissait tous les génériques par cœur. Ainsi, la popularité de Paul ne se démentait pas dans nos soirées. Il pouvait expliquer pendant des heures à un public ébahi les vertus relatives de diverses substances pour la simulation du sang humain dans une scène de décapitation. De même pouvait-il commenter la production de cinéastes coréens totalement inconnus. S’agglutinaient autour de Paul une horde de nerds et d’amateurs de culture underground. Mais que des gars. Parce que manifestement, les filles ne s’intéressaient guère à ses histoires de fusillades, de démembrements et de zombis. À son grand dam, du reste.