Le film de Denis Villeneuve ramène le sujet dans l’actualité.
Voici ce que j’écrivais (dans un carnet en papier, pour moi-même) le 8 décembre 1989 à propos de la tuerie de Polytechnique :
Fait d’hiver
Avant-hier, un fou furieux a fait irruption à l’École Polytechnique, armé d’une carabine automatique. Tout au long du cauchemardesque assaut qui suivit, le jeune homme a tué 14 filles et blessé une vingtaine de personnes. Heureusement, dans un éclair d’intelligence, le forcené a finalement retourné son arme contre lui-même et s’est éclaté la tête.
[Mise à jour du 2014-12-06]
En 1989, nous vivions dans un monde où ces crimes n’étaient pas si routiniers. Je pouvais me permettre d’écrire alors un tel lieu commun. L’histoire du fou furieux qui se rend dans une école ou un lieu public pour abattre des gens puis qui s’éclate la tête est tragiquement devenue un cliché. Ça n’enlève rien à l’horreur.
Je n’ose imaginer ce qu’ont vécu les victimes et les témoins de la tuerie. L’euphorie de la fin de session qui se transforme en rendez-vous avec la mort. Je ne peux que me faire une vague idée de l’angoisse des jeunes femmes qui, comme ce fut le cas pour ma conjointe, n’avaient pas cours cet après-midi-là et ont quitté l’École polytechnique tôt, échappant ainsi de justesse au carnage. Il aurait suffi de flâner quelques heures de plus à la cafétéria pour peut-être devenir la quinzième victime.
Cette histoire est aussi un traumatisme pour les hommes de mon âge.
J’avais l’âge du tueur, celui des victimes, j’allais à l’Université de Montréal, j’avais des amis à la Poly (on disait la Poly et la Polytechnique). Le tueur a justifié son geste dans une lettre d’adieu sans équivoque, expliquant qu’il avait agi « pour des raisons politiques », motivé par sa haine des féministes, donc des femmes. Son geste était misogyne, ça ne fait aucun doute. Un geste planifié et expliqué, mais non moins absurde.
Depuis vingt-cinq ans, l’événement est analysé sous toutes ses coutures. D’aucuns se permettent des analyses de haute voltige selon lesquelles le type n’était pas fou, le type était un pur produit de la société québécoise, voire de sa génération. Un homme entre dans une école et tue quatorze femmes. Il explique dans une note post mortem sa haine des féministes. On me pointe du doigt. Et je garde le silence, parce qu’il me semble superflu d’avoir à dire tout haut l’évidence : je ne suis pas misogyne, je ne suis pas un meurtrier.
Je ne suis pas Marc Lépine.