9 octobre 2006

La conquête du Nord

Au début, il y avait un territoire sauvage
Une forêt infinie
Des milliers de petits lacs
C'était le territoire des bûcherons
Des amérindiens
Et de rares coureurs de bois modernes
Qui venaient y trapper, y chasser ou y pêcher

Puis à une certaine époque
Pour permettre aux Américains fortunés
De profiter de ce paradis
Déguisés en chasseurs et en pêcheurs
Déguisés en Daniel Boone
On a délimité des pourvoiries
Dégagé quelques routes et construit des camps
Et les Américains sont venus
Et ils ont tué beaucoup de bucks et beaucoup d'ours
Ils ont pêché des chapelets sans fin de truites et de dorés
On les voit sur les photos d'époques
Tout sourire, flanqués de leur guide
Le petit nègre Canadien-français
Et des centaines de truites accrochées à de longues branches

Mais bientôt les Québécois ont repris possession de leur territoire
Et ils ont ouvert des routes
Et ils ont construit des chalets
Et ils sont montés dans le Nord en masse
Et ils ont pêché ce qui restait de poissons après le passage des Américains
Il en restait déjà beaucoup moins
Et ils ont aménagé des plages
Se sont acheté des chaloupes et des moteurs hors-bords
Des gens de la ville qui allaient dans le bois pour s'amuser
Et du plaisir, ils en ont eu beaucoup

Les autoroutes ont poussé toujours plus au nord
Des villages, puis des villes s'y sont développés
Comme par magie, les lacs se rapprochaient de la grande ville
Les Québécois ont en effet l'habitude de calculer les distances en heures et en minutes

Puis un jour, la génération du Baby Boom prit possession du Québec
Ces gens développèrent de grands projets politiques et sociaux
Ils développèrent de grands projets économiques
Ils étaient nombreux
Et l'avenir leur appartenait
Ces gens étaient de bons vivants
Ils vivaient en ville mais rêvaient d'en sortir pour s'amuser
Ils virent ce terrain de jeu immense qui s'étendant au nord de Montréal
Alors ils achetèrent tout
Les camps, les chalets, les bicoques, les maisons
Tout ce qui se trouvait sur le bord d'un lac
Car le bord de l'eau, c'est tellement beau
Rien de tel que de siroter un porto sur sa véranda avec vue sur le lac
Et plus ils vieillissaient et plus ils étaient nombreux à se dire
La maison est payée
Quel beau projet de retraite
Un chalet sur le bord d'un lac

Alors les agents immobiliers comprirent qu'il se passait là quelque chose
Les gens qui avaient construit jadis de petits chalets rustiques
Souvent de leurs propres mains et pour une bouchée de pain
Maintenant vieux, cherchaient à s'en débarrasser
Se faisaient expliquer qu'ils étaient assis sur une petite fortune
Faites-moi confiance, disait l'agent, je vous vends ça le double
Le double, s'étonnaient les vieux, pourquoi pas?
Et les baby-boomers achetaient et mettait la bicoque à terre
Et se construisaient de grosses maisons riveraines
Et souverains dans leur petits châteaux, ils étaient heureux

Alors les promoteurs comprirent qu'il se passait là quelque chose
Ils achetèrent les rares lacs encore vierges
Et ouvrirent des routes autour de chaque lac
Et découpèrent la rive des lacs en lots
Et les proposèrent à prix d'or
Avec possibilité de se bâtir une habitation de luxe en bois rond
Rien de trop beau
Et les gens fortunés achetaient sans négocier
Quelle belle image ça fera ce superbe chalet de bois
Avec notre Volvo géante à quatre roues motrices garée à côté
Une monster house en pleine nature
À deux heures de Montréal