1 juin 2023

Dystopie domestique




La chaleur caniculaire de ce 1er juin nous déclare sans rire que nous vivons désormais dans une dystopie. C’est moins spectaculaire, mais plus épeurant qu’au cinéma. « Plus rien ne sera comme avant », comme on dit trop souvent, mais cette fois, c’est vrai. Les feux consument la forêt. Des records sont battus. La situation semble irréparable. J’ai télétravaillé toute la journée en shorts et en t-shirt et l’été n’est même pas commencé ; qu’est-ce que ce sera rendu au mois d’août ?

Pour aider les insectes pollinisateurs, la municipalité demande de ne pas tondre la pelouse durant le mois de mai. On se retrouve avec du gazon qui monte en graines et de grands pissenlits secs et ridicules. Ça serait plus joli si on avait pensé semer des fleurs des champs, disons.

Les merles sont très actifs en ce moment. On les voit se promener la tête en l’air, dissimulés dans le gazon trop long, un insecte ailé coincé dans le bec. Ils chassent sans relâche pour nourrir leurs petits qui attendent dans le nid, affamés. En observant ces adultes qui se baladent inutilement, leur proie dans la gueule, j’imagine les oisillons imberbes, les yeux globuleux qui crient famine. Qu’attendent ces imbéciles pour retourner nourrir leur progéniture ? Allez savoir.

Soudain, le vent se lève et fait bouger les arbres. Une pluie de petites samares, d’aiguilles de pin et d’aigrettes de pissenlit tombe sur la terrasse. Mais ça ne dure qu’un moment.

Ce 1er juin atypique ressemble à tous ces jours atypiques de toutes les saisons qui passent, dorénavant. L’humanité court à sa perte en sirotant une bière blanche sur la terrasse et en tapant inutilement du texte à l’ordinateur ; elle fait dire que, malgré le scénario apocalyptique, elle réussit à être heureuse, malgré tout, mais des fois, c’est difficile.


3 mai 2023

Près de 95 % des tendances seraient lourdes, selon des chercheurs

 



Dans un article publié dans la prestigieuse revue Science, une équipe de recherche de l’Université du Québec à Saint-Hyacinthe (UQASH) montre que de nos jours, presque toutes les tendances sont lourdes.  

Armés de balances, les chercheurs ont minutieusement pesé pendant près de deux ans des milliers de tendances. Leurs travaux ont permis de constater que 94,8 % d’entre elles étaient lourdes.

« Il semble que la tendance délicate, voire de poids normal soit devenue l’exception », explique Rose Légère, directrice du groupe de recherche. « Tout au plus avons-nous rencontré quelques tendances nettes et, une fois, une tendance prédominante. »

Depuis quelques années, plusieurs commentateurs ont exprimé des inquiétudes quant au manque de diversité des tendances dans notre sociétés.

« J’avoue que ces résultats nous ont surpris. Nous nous attendions à une tendance, mais pas aussi lourde », conclut la chercheuse.


30 avril 2023

Journal du capitaine

Source: Wikimedia



        Fait-il jour ? Fait-il nuit ? Me voilà prisonnier d’un brouillard si épais qu’on n’y voit plus guère. De la barre, j’ai beau tendre la lampe à bout de bras, j’ai beau plisser les yeux, le pont se dissout dans la purée de pois et le regard ne porte même pas jusqu’à la proue. Me voilà fin seul. L’équipage a disparu. Sont-ils allés se réfugier à la cale ? Ont-ils déserté ? Se sont-ils fait enlever par quelque monstre venu des profondeurs ? Le seul indice de présence humaine est le barrissement de loin en loin des cornes de brume. Même mon fidèle perroquet s’est volatilisé. Son oreille bienveillante, ses répliques redondantes, sa voix irritante, sa poésie insignifiante : tout cela m’était précieux, je m’en rends compte maintenant.

        « Ohé, bosco ! Ohé timonier ! »

        Personne ne répond. Que le grondement des flots et le sifflement de la brise. Me voilà fin seul dans un vaisseau à la dérive. J’ai perdu la carte. J’ai perdu le nord et le reste. Je suis l’aveugle qui navigue à vue. Je me dirige à tâtons. Il n’y a plus d’itinéraire, plus de destination. Après tout ce temps en mer à voguer au hasard, la cargaison doit être bel et bien gâtée. Et les vivres sans doute bientôt épuisés. Et moi qui ne peux quitter la barre. Sans capitaine, qui pilotera ? Il est de ma responsabilité de demeurer en poste, envers et contre tout. La destinée de ce vaisseau et celle de ce périple ne dépendent plus que de mon acharnement, voire de mon obsession.

        Tiens, est-ce une éclaircie, là-bas, à dix heures ? Ah. Non. Il ne devait s’agir que de l’éclair d’un phare, au loin. Je n’ai plus pour stratégie que de maintenir ce semblant de cap en espérant, si Dieu le veut, que le vent se lève enfin et nettoie le ciel, que je retrouve la route et un sens à ce voyage.


        Journal de bord du capitaine, en ce trentième jour du mois d’avril de l’an de grâce deux mille vingt-trois.


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*   *


18 avril 2023

Exit Twitter


 

Ma patience infinie a des limites, comme dirait l’autre. J’ai jadis quitté Facebook. C’est maintenant le tour de Twitter. Je préfère ne plus être associé à ce réseau de moins en moins social, compte tenu de ses orientations éditoriales et de sa culture d’entreprise. Je n’ai aucune envie d’élaborer ici tout ce qui ne va pas avec Twitter, la vie est trop courte. J’invite ceux qui veulent faire leurs recherches à visiter le site Twitter is Going Great! (le titre est ironique). Pour vous achever, vous pouvez aussi aller vous balader dans la fange de ce cher réseau.



J’ai passé de beaux moments dans Twitter, depuis 2010. Il y a même une catégorie twittérature dans mon blogue, c’est dire. J’ai croisé dans Twitter des gens intéressants ; j’y ai déniché quelques lecteurs de passage ; j’y ai parfois reçu de précieux et rares encouragements à écrire.

Si le cœur vous en dit, je vous invite à me suivre dans Mastodon où vous pourrez retrouver mes élucubrations habituelles. Par ailleurs, mon blogue est là pour rester, bien sûr.

À bientôt, j’espère.


[Mise à jour]

Voici létat actuel des flux de diffusion utilisés par le Machin à écrire. Le quartier général est toujours le blogue, bien entendu. Pour me visiter, vous pouvez aussi utiliser les liens sous la rubrique Ailleurs dans la galaxie, dans le menu de droite.



[Mise à jour du 2023-04-21]



15 avril 2023

Laverdure, post-scriptum

 
(Source: Wikimedia)



« I don’t waste my time reading synthetic text. »

Emily M. Bender, linguiste à l’Université de Washington 
et spécialiste de la linguistique informatique, 
en entrevue à la balado Tech Won’t Save Us


Je présentais l’autre jour les résultats d’un petit projet de programmation naïf, le générateur de texte Laverdure.

Je notais que les résultats produits par Laverdure sont particulièrement amusants lorsqu’on génère du texte à partir d’un corpus constitué d’une seule œuvre, parce qu’on reconnaît souvent dans le texte généré des caractéristiques du texte d’origine. Question d’épuiser pour de bon le potentiel (fort limité) de Laverdure, permettez-moi de publier quelques exemples supplémentaires. (Note : je n’ai pas édité les résultats générés et tous les mots, y compris les noms propres, sont en minuscule, sauf lorsqu’ils sont au début d’une phrase.)

Vingt Mille Lieues sous les mers


Dans mon précédent billet, je prétendais que Vingt Mille Lieues sous les mers de Jules Verne est un excellent corpus, avec son vocabulaire technique, propre aux choses maritimes et sous-marines. Je n’ai pourtant étayé cette affirmation d’aucun exemple. Voici donc deux brefs extraits triés sur le volet.
  
10 janvier. Souvent des zoophytes et s'évaporent hors d'état de plantes pélagiennes. Est-il possible de molécules. Certain que faisait dire à recevoir. Elle, ralentissant son fanal était là. L'infortuné poisson trouvait une mèche avant d'examiner plus grosses bosses en sait que supposez-vous ? Nous gravissions des flots et gravir une épave, longs d'un pas ainsi fait d'appeler son temps restait plus redoutables, d'italie et tacheté de velours et crainte, fixé une chance !

*

10 février 1828, vingt assauts inutiles, justement comme je surmontai l'horreur, blanchâtres si de collectionneur, peuvent tirer de kangaroos, enlacé par soixante-quinze milles environ le régime du voyage ne laissant passer par lui-même. Gardons toutes les populations provençales. Savez-vous ? J'étais donc vers l'horizon, est échoué, répandirent bientôt dépeuplées.

Le vocabulaire de l’exploration et des descriptions naturelles et scientifiques colore agréablement le texte généré, qui demeure évidemment bien aléatoire.

Le refus global


J’ai chargé dans Laverdure le texte du manifeste Refus global, (que j’ai obtenu ici). L’œuvre est célèbre, mais elle s’avère très brève, ne comptant qu’un peu plus de 1 200 tokens uniques.

Nombre de fichiers de texte:        1
   Refus_global (3282 mots)
Nombre de mots dans le texte brut:  3282
Nombre de tokens uniques:           1286
Nombre de couples uniques:          2763
 
On reconnaîtra dans l’extrait qui suit, généré à partir de ce corpus, le ton exalté du texte d’origine.

L’urgent besoin de foi retrouvée en puissance morale, remontons nos rivières tumultueuses en vue de perpétuer en remplaçant les murs. Nos visières, dans sa résistance au cœur d’or, veulent bien peu de soi – des nécessités ! Place à nos espoirs s’émoussent. Tous les fondements de toutes les espoirs s’émoussent. L’exploitation. Trop mobile pour de tatouages prélevés sur le risque total dans l’espoir naïf de jugement. L’élite reprend la main, nous entendre – en monopole le précieux trésor est dans l’ordre de nos jours restées françaises et autres nécessités ! Place fortifiée mais d’un groupe existe aux moins sensibles.

Comme le corpus est restreint, Laverdure a tendance à radoter. Ici par exemple, « émoussent » et « nécessités » se répètent. Mais quand je lis « Remontons nos rivières tumultueuses en vue de perpétuer en remplaçant les murs », j’ai presque envie de prendre la rue (voire le maquis).

Les évangiles


Mettez cela sur le compte de mon éducation catholique, mais j’ai eu envie de voir ce que Laverdure pourrait produire à partir du texte des évangiles (tiré de la bible Segond de 1910 qui est dans le domaine public).

Voici deux séquences courtes de ce qu’on pourrait appeler un néo-Nouveau Testament stochastique.

Jésus pleura amèrement. Ce lieu, indique à pierre. Celui qu’on vous aurez à quel est couché dans son fruit, dites, croyant vous écoutez ; par des oliviers. Vous désirerez voir celle qui entendent, duquel des tabernacles, fléchissant les envoyer hors du sang de cela nous suffit. J’ai fait battre de n’avoir ni moi sommes disciples sont allés voir s’il l’aime. André, seigneur. De fortes recommandations, les soucis du lieu, les neuf, sans rien reprendre dans l’épi ; dis-nous qui écoutait sa sueur devint comme la guerre à jésus trouva que j’ai fait valoir.

*

Femme, gardez mes paroles. Nos enfants et mes vêtements ; pardonne-nous nos yeux, beaucoup de chose ; mais cela leur ressemblent. Toutes parmi le pressaient de répudier. D’ailleurs, dont nous induis pas les nations ? Quelques-uns parlaient et en bas dans l’homme qui s’était pas du pays d’israël. Sa sainte alliance en marche dans tyr et toutes leurs sacrifices. Celles qui s’apaisèrent, simon ? Or, appelé dieux ? Afin de pourceaux, rassemblèrent, ton témoignage qu’il ne défaille point étudié ? Afin d’avoir vu ; honore ton suppliant : ami, rabbi, ses saints anges leur proposa une nourriture qui chasse les noces avec des noces fut entré, présente-lui aussi une forme de joseph prit sa maladie.

Et pour terminer, un quatrain évangélique que j’ai créé une phrase à la fois, en plusieurs tentatives.

Pécheur peut-il venir où achèterons-nous des voleurs
Pécheresse, laisse-moi ôter la pâte
Péché contre son trésor dans l’arche ; s’ils boivent
Plaisir à gauche, là beaucoup d’autres disaient que plusieurs aveugles voyaient, son mari

En tout cas


Le bébé se lasse de son hochet et l’éjecte hors du landau. Les jouets font leur temps.

(Source: Mastodon)


Déjà, le texte généré par ordinateur (Emily Bender appelle cela synthetic text, du texte synthétique) n’est pas très intéressant, celui de Laverdure est de surcroît syntaxiquement et sémantiquement croche. La vie est trop courte pour lire de la prose artificielle et pour bavarder avec des ordinateurs.

Remettons donc Laverdure dans sa boîte, déposons-le sur la tablette supérieure de ce placard, celle qui ramasse la poussière, dans ce coin difficile d’accès où se perdent les objets inutiles et vite oubliés.